Pouvez-vous, pour commencer, nous présenter votre parcours ?
Matthieu Mallédant : Il est somme toute assez classique. J’ai commencé par un métier plutôt technique, l’ingénierie des réseaux sans fil et des logiciels embarqués, avant de poursuivre avec de la gestion de projets. Mon intérêt pour le monde de la santé est né suite à l’hospitalisation d’un ami pendant plusieurs mois. Nous étions alors en 2007, l’Internet mobile était loin de s’être généralisé et les journées à l’hôpital étaient longues. C’est là qu’a germé une idée : pourquoi ne pas mettre en place une offre de services digitalisés pour les patients hospitalisés ? En 2011, Sébastien Duré et moi-même décidons de relever le défi en créant Télécom Santé, devenu en 2018 HOPPEN, spécialiste de l’Hôpital Digital.
Justement, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la digitalisation des établissements de santé ?
Bien que la dynamique y soit positive, le secteur accuse un certain retard par rapport à des secteurs comme les télécommunications ou le transport aérien, où des tâches qui étaient par exemple effectuées par les personnels sont désormais déléguées aux utilisateurs. C’est d’ailleurs le premier aspect de la digitalisation : favoriser l’implication des « end-users », c’est-à-dire des usagers eux-mêmes, pour libérer les équipes de certaines tâches à faible valeur ajoutée. Le second aspect, que la santé a également du mal à appréhender, a trait au transfert d’informations.
Comment cela ?
Les établissements de santé s’appuient sur des personnels très impliqués et très compétents, mais mettent à leur disposition des outils de communication surannés ! Les infirmiers de programmation passent par exemple un temps fou au téléphone pour gérer des tâches qui pourraient être automatisées. Pourquoi alors mobiliser du personnel qualifié ? C’est d’ailleurs là que réside, à mon sens, tout le paradoxe de l’Hôpital : son domaine d’activité touche à ce que l’on a de plus intime, et pourtant, on y est beaucoup moins informé, moins connecté, que dans d’autres secteurs… Digitaliser l’hôpital, c’est donc le réhumaniser.
C’est effectivement une notion que vous défendez de longue date. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Prenez le développement de l’ambulatoire : les proches des patients posent toujours la même question, « à quelle heure va-t-il/elle sortir du bloc ? ». En leur transmettant cette information de manière automatisée, on peut à la fois les rassurer et permettre aux soignants de se concentrer sur le rôle qui est le leur, sans avoir à gérer des tâches qui sortent de leur champ. L’ambiance n’en sera que plus sereine. Réhumaniser l’hôpital, c’estdonc, aussi et surtout, redonner du temps aux équipes médicales et paramédicales pour qu’elles puissent se recentrer sur leur cœur de métier.Le digital contribue ainsi à initier un cercle vertueux aux répercussions positives, y compris pour l’établissement de santé lui-même, en favorisant l’exploitation de nouveaux gisements de valeur.
Qu’entendez-vous par là ?
La technologie permet de traiter plus de patients, et donc d’améliorer la performance des organisations hospitalières, sans pour autant démultiplier les équipes. Prenez le bionettoyage. Une demi-journée peut passer entre le nettoyage d’une chambre et la transmission de cette information au service des admissions. Le digital permet de gagner ce temps « mort », en accélérant la réaffectation des chambres disponibles. En partant du principe que la durée moyenne de séjour est de trois jours, cela représente +15 % d’activité en fin d’année, à surface et personnel constants. C’est le fameux second volet de la digitalisation évoqué plus haut, la transmission des informations aux bonnes personnes et au bon moment.
Pourquoi les établissements de santé n’ont-ils donc pas plus recours aux technologies digitales ?
Ils sont à mon sens freinés par des conservatismes – la conduite du changement est en effet un champ complexe, qui impose un certain volontarisme… Mais aussi, peut-être, par une mauvaise perception du digital, parfois considéré comme une fin en soi alors qu’il s’agit, somme toute, d’un moyen pour mieux servir les usagers et les soignants. Dans de nombreux établissements, lorsque je commence à évoquer un projet de digitalisation, on me réfère à la direction des systèmes d’information en oubliant que l’enjeu est moins technologique qu’organisationnel. Dans certaines situations, une simple modification des process peut résoudre un problème, dans d’autres la technologie aura un rôle à jouer. Il faut donc toujours partir des usages pour identifier, sans dogmatisme, les approches et les outils les mieux à même de faciliter le quotidien. Parce que c’est là que réside tout l’enjeu actuel de l’hôpital.
C’est la raison pour laquelle vous en appelez à un « Plan Marshall » du digital à l’hôpital.
Je suis un pragmatique : à l’hôpital, les principales problématiques sont aujourd’hui d’ordre organisationnel. 80 % peuvent donc être résolues avec 20 % des investissements prévus dans le cadre du Ségur de la Santé. Sur le volet numérique, celui-ci a beaucoup évoqué l’intelligence artificielle et le Big Data, alors qu’il s’agit d’enjeux à long terme, qui n’adressent pas ces petits accrocs du quotidien auxquels les soignants, les patients et leurs proches sont aujourd’hui confrontés. En favorisant et en accélérant la digitalisation des établissements de santé, on pourraitpourtant redonner de l’air aux organisations hospitalières afin qu’elles puissent justement se projeter vers l’avenir.Surtout que la marge de manœuvre est grande, eu égard au retard accumulé sur le plan de la digitalisation ; le retour sur investissement sera donc de fait très rapide en termes de performance, d’efficience, de qualité de vie au travail, de relations avec les usagers, etc. En visant tout de suite trop haut avec des projets certes ambitieux mais dont les impacts ne se feront ressentir que dans plusieurs années, on prend le risque de condamner le présent à l’immobilisme… Or c’est aujourd’hui que tout se joue. Commençons par les priorités court-terme, innovons, tirons profit de la digitalisation pour reconstruire des bases solides, où tous trouveront leur compte. L’Hôpital de demain n’en sera que plus fort.
Plus d'informations sur le site de Hoppen.
Matthieu Mallédant : Il est somme toute assez classique. J’ai commencé par un métier plutôt technique, l’ingénierie des réseaux sans fil et des logiciels embarqués, avant de poursuivre avec de la gestion de projets. Mon intérêt pour le monde de la santé est né suite à l’hospitalisation d’un ami pendant plusieurs mois. Nous étions alors en 2007, l’Internet mobile était loin de s’être généralisé et les journées à l’hôpital étaient longues. C’est là qu’a germé une idée : pourquoi ne pas mettre en place une offre de services digitalisés pour les patients hospitalisés ? En 2011, Sébastien Duré et moi-même décidons de relever le défi en créant Télécom Santé, devenu en 2018 HOPPEN, spécialiste de l’Hôpital Digital.
Justement, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la digitalisation des établissements de santé ?
Bien que la dynamique y soit positive, le secteur accuse un certain retard par rapport à des secteurs comme les télécommunications ou le transport aérien, où des tâches qui étaient par exemple effectuées par les personnels sont désormais déléguées aux utilisateurs. C’est d’ailleurs le premier aspect de la digitalisation : favoriser l’implication des « end-users », c’est-à-dire des usagers eux-mêmes, pour libérer les équipes de certaines tâches à faible valeur ajoutée. Le second aspect, que la santé a également du mal à appréhender, a trait au transfert d’informations.
Comment cela ?
Les établissements de santé s’appuient sur des personnels très impliqués et très compétents, mais mettent à leur disposition des outils de communication surannés ! Les infirmiers de programmation passent par exemple un temps fou au téléphone pour gérer des tâches qui pourraient être automatisées. Pourquoi alors mobiliser du personnel qualifié ? C’est d’ailleurs là que réside, à mon sens, tout le paradoxe de l’Hôpital : son domaine d’activité touche à ce que l’on a de plus intime, et pourtant, on y est beaucoup moins informé, moins connecté, que dans d’autres secteurs… Digitaliser l’hôpital, c’est donc le réhumaniser.
C’est effectivement une notion que vous défendez de longue date. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Prenez le développement de l’ambulatoire : les proches des patients posent toujours la même question, « à quelle heure va-t-il/elle sortir du bloc ? ». En leur transmettant cette information de manière automatisée, on peut à la fois les rassurer et permettre aux soignants de se concentrer sur le rôle qui est le leur, sans avoir à gérer des tâches qui sortent de leur champ. L’ambiance n’en sera que plus sereine. Réhumaniser l’hôpital, c’estdonc, aussi et surtout, redonner du temps aux équipes médicales et paramédicales pour qu’elles puissent se recentrer sur leur cœur de métier.Le digital contribue ainsi à initier un cercle vertueux aux répercussions positives, y compris pour l’établissement de santé lui-même, en favorisant l’exploitation de nouveaux gisements de valeur.
Qu’entendez-vous par là ?
La technologie permet de traiter plus de patients, et donc d’améliorer la performance des organisations hospitalières, sans pour autant démultiplier les équipes. Prenez le bionettoyage. Une demi-journée peut passer entre le nettoyage d’une chambre et la transmission de cette information au service des admissions. Le digital permet de gagner ce temps « mort », en accélérant la réaffectation des chambres disponibles. En partant du principe que la durée moyenne de séjour est de trois jours, cela représente +15 % d’activité en fin d’année, à surface et personnel constants. C’est le fameux second volet de la digitalisation évoqué plus haut, la transmission des informations aux bonnes personnes et au bon moment.
Pourquoi les établissements de santé n’ont-ils donc pas plus recours aux technologies digitales ?
Ils sont à mon sens freinés par des conservatismes – la conduite du changement est en effet un champ complexe, qui impose un certain volontarisme… Mais aussi, peut-être, par une mauvaise perception du digital, parfois considéré comme une fin en soi alors qu’il s’agit, somme toute, d’un moyen pour mieux servir les usagers et les soignants. Dans de nombreux établissements, lorsque je commence à évoquer un projet de digitalisation, on me réfère à la direction des systèmes d’information en oubliant que l’enjeu est moins technologique qu’organisationnel. Dans certaines situations, une simple modification des process peut résoudre un problème, dans d’autres la technologie aura un rôle à jouer. Il faut donc toujours partir des usages pour identifier, sans dogmatisme, les approches et les outils les mieux à même de faciliter le quotidien. Parce que c’est là que réside tout l’enjeu actuel de l’hôpital.
C’est la raison pour laquelle vous en appelez à un « Plan Marshall » du digital à l’hôpital.
Je suis un pragmatique : à l’hôpital, les principales problématiques sont aujourd’hui d’ordre organisationnel. 80 % peuvent donc être résolues avec 20 % des investissements prévus dans le cadre du Ségur de la Santé. Sur le volet numérique, celui-ci a beaucoup évoqué l’intelligence artificielle et le Big Data, alors qu’il s’agit d’enjeux à long terme, qui n’adressent pas ces petits accrocs du quotidien auxquels les soignants, les patients et leurs proches sont aujourd’hui confrontés. En favorisant et en accélérant la digitalisation des établissements de santé, on pourraitpourtant redonner de l’air aux organisations hospitalières afin qu’elles puissent justement se projeter vers l’avenir.Surtout que la marge de manœuvre est grande, eu égard au retard accumulé sur le plan de la digitalisation ; le retour sur investissement sera donc de fait très rapide en termes de performance, d’efficience, de qualité de vie au travail, de relations avec les usagers, etc. En visant tout de suite trop haut avec des projets certes ambitieux mais dont les impacts ne se feront ressentir que dans plusieurs années, on prend le risque de condamner le présent à l’immobilisme… Or c’est aujourd’hui que tout se joue. Commençons par les priorités court-terme, innovons, tirons profit de la digitalisation pour reconstruire des bases solides, où tous trouveront leur compte. L’Hôpital de demain n’en sera que plus fort.
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Article publié sur le numéro de septembre d'Hospitalia à consulter ici